Dans le roman, quelle est la part de fiction et quelle est la part basée sur des faits réels ? C’est que même si La tourmente du Serpent est loin d’être autobiographique, il y a dedans beaucoup des expériences que j’ai vécues en Papouasie. D’y avoir passé près d’une année en tout, il était évident que j’allais y vivre quelques expériences intéressantes. Un moment majeur dans le livre est celui où Ulysse et Claire vont jusqu’à Lebani, une vallée cachée entre Kulu et Kerniba. Si tous les mystères que cette vallée recèle dans l’histoire n’existe pas dans la réalité, ils existent bien dans mon esprit quelque part. Pas que j’en sois arrivé à avoir des hallucinations après des mois passés là-bas, mais la vérité, c’est que je n’ai jamais réussi à atteindre cette vallée, et qu’elle s’est peu à peu entourée d’un voile de mystère.
Quand je dis que je n’ai jamais réussi, ce n’est pas un euphémisme, j’ai vraiment essayé, deux fois. Comme dans le livre, deux accès existent, l’un depuis Kulu, et l’autre depuis Kerniba. La première fois, j’ai essayé de passer par la route partant depuis Kulu. Il devait y avoir deux jours de marche pour atteindre les communautés de Lebani, avec donc une nuit à passer dans la jungle en altitude. Cela ne m’avait pas découragé, j’étais particulièrement motivé à l’idée d’aller parler avec des clans fortement reculés (oui encore plus reculés qu’à Kulu) et j’espérais glaner quelques conversations et points de vues passionnants pour mon travail. Mais je n’avais pas compté avec tous les obstacles qui allaient être mis en travers de notre chemin (mon guide était Potabe évidemment) : glissements de terrain, pluies diluviennes transformant le chemin déjà difficile en un torrent de boue, arbres tombés en travers,… bref, tout était réuni pour m’envoyer un unique message : on ne passe pas ! Donc après plus de 6 heures à lutter, j’ai été obligé de m’avouer vaincu et nous avons rebroussé chemin (au grand soulagement de Potabe).
Lors d’un deuxième terrain, cette fois-ci à Yaluba (près de Kerniba sur la carte, dans la zone de Fugwa), l’idée de réessayer d’atteindre Lebani m’est revenue. Pas que mon échec précédent m’ait vexé, mais mon directeur de thèse m’avait confirmé avant de partir que c’était une vallée magnifique et que les villages y étaient incroyables. Si lui l’avait fait, moi aussi je pouvais ! Seulement, avant même de partir pour ce qui devait être une très longue journée de marche, plus de 12 heures selon les gens de Kerniba, un premier obstacle s’est présenté à moi : personne ne voulait y aller, d’ailleurs personne n’y allait jamais (ce qui m’a rassuré sur l’exactitude de l’estimation de durée de la marche). Lorsque j’ai demandé pourquoi, les anciens m’ont simplement expliqué que le chemin était gardé par des Damas, des esprits qui protégeaient l’accès à la vallée. N’étant pas vraiment affecté par les croyances de autres, je trouvais un guide qui accepta malgré le danger de me conduire… c’était un jeune prêcheur d’une petite église locale qui avait (presque) surmonté ses peurs grâce à un rabâchage incessant de ses professeurs en théologie qui lui avaient assuré qu’il ne devait pas croire en un tas de choses invisibles comme le faisaient ses ancêtres.
Nous sommes donc partis vers 4 heures du matin afin d’atteindre l’entrée du chemin au point du jour. Et là, l’enfer a commencé. Effectivement, les gens du village n’avaient pas menti : personne n’empruntait ce chemin ! Il était escarpé, envahit pas la végétation, raviné par les pluies incessantes, avec parfois une telle pente qu’il nous fallait monter en s’aidant des mains… mais j’ai refusé d’abandonner. Entre les arbres, je distinguais le sommet de la montagne qui se rapprochait lentement, très lentement il est vrai, mais il se rapprochait malgré tout. J’avais un but visible et j’étais déterminé à ne pas laisser la boue et tous les obstacles naturels m’arrêter cette fois. Plusieurs fois durant l’ascension, je me suis fait la même réflexion : je comprends pourquoi ils pensent que le chemin est gardé par des Damas, ceux-ci étant des esprits se cachant dans les forêts pour jouer de mauvais tours aux voyageurs, si j’avais été Huli, j’aurais été persuadé de leur existence et de leur présence après une heure de marche sur ce chemin.
Lorsqu’enfin, après près de 7 heures de montée et totalement épuisé, il ne restait plus que quelques encablures pour atteindre le sommet, mon moral était au plus haut. J’avais atteint la vallée de Lebani et en moins de 12 heures. Arrivé sur un petit plateau, comme toute personne qui atteint un sommet, j’ai posé mon sac par terre, et j’ai admiré le paysage qui s’offrait à moi. D’un côté, toute la vallée de Fugwa, le marais, les montagnes, magnifique, et de l’autre, la vallée de Lebani, un creux empli d’une jungle inextricable dont je n’arrivais qu’à voir une petite partie à cause du mur végétal qui me faisait front.
Pas de chemin. Mon guide haussa les épaules en disant simplement que celui-ci s’est refermé avec le temps mais qu’il doit certainement être possible de le retrouver un peu plus loin. Impossible de déterminer une direction à prendre, ni de voir le moindre signe de présence humaine dans la vallée… Donc un choix simple : je m’entête et je m’enfonce dans une jungle qui n’a peut-être pas de chemin au risque de me perdre avec un guide qui ne sait pas vraiment où il va, ou alors abandonner encore une fois… Lebani et les Damas avaient de nouveau gagné la partie et je suis rentré.
En rentrant en Australie, je suis retourné voir mon directeur de thèse et je lui ai parlé de ce deuxième échec et il m’a dit, le plus naturellement du monde : » je ne connais pas ces chemins, j’y étais allé en hélicoptère, invité par un compagnie à l’époque »… c’est tout une question de moyens finalement. Mais aujourd’hui, je réalise que si j’avais réussi à atteindre Lebani et à la visiter, je n’aurais pas eu à me faire une idée du lieu en me basant sur les oui-dires des gens qui avaient peur d’y aller, des légendes que l’on entend sur les hommes qui y vivent, et je n’aurais peut-être pas eu l’inspiration d’écrire ce roman. Donc… c’était sûrement pour mon bien que tous ces Damas m’ont empêché d’y aller.
NdlA : Dans mon premier roman policier, » La tourmente du Serpent », vous pourrez retrouver ces aventures au coeur de la Papouasie Nouvelle Guinée, en plein territoire Huli. C’est un polar qui vous fera voyager dans ces contrées lointaines.