La peur de la panoptique

La panoptique est un vieux concept né d’une circonstance étrange : deux architectes qui cherchaient à créer la prison parfaite. Ils avaient appelé cela un panoptique (du grec « qui peut tout voir »), et l’idée globale était d’avoir un dispositif spatial qui permet d’embrasser du regard la totalité d’un espace, et donc une surveillance continue des individus. Il fallait qu’un minimum de gardes puissent voir un maximum de prisonniers. Mais lorsque ce concept est entré dans une dimension plus psychologique, on comprend alors que l’idée allait plus loin, il fallait que les prisonniers croient qu’ils étaient toujours sous surveillance, où qu’ils soient dans leur prison et quelle que soit l’heure, même s’ils ne voient pas les gardes.

C’est ce concept qui a peu à peu mené à celui d’une société panoptique, c’est-à-dire une société dans laquelle les gens sont sous constante surveillance même s’ils ne s’en rendent pas forcément compte. Cela nous ramène à une conception d’une société-prison, le carcan social qui enferme les individus au-delà de ce qui était demandé dans le contrat social initial. Nous sommes aujourd’hui dans une société d’image et de technologie. Pour notre sécurité, nous sommes entourés de caméras dans toutes nos rues, nos conversations sont lues pour traquer les terroristes, nos téléphones nous écoutent pour savoir quoi nous vendre,… C’est ce que l’on nous offre : protection, prévention, personnalisation, mais au final, beaucoup de personnes ne constatent qu’une chose : elles sont vues, lues et entendues jusque dans leur intimité.

La peur de la panoptique est donc cette idée que l’on vit dans une prison dont les murs se ressenrent peu à peu, écrasant toujours plus notre capacité à jouir de nos libertés. Est-ce une réalité ? Certes, les caméras sont bien en place, les téléphones écoutent vraiment, mais est-ce que cela veut pour autant dire qu’ils nous surveillent ?

La panotpique dans conversation avec un cynique
Conversation avec un cynique

Aujourd’hui on nous présente certains pays comme étant sous contrôle total, chaque habitant étant fiché, suivi, épié, le gouverment écoutant chacun de ses mots et scrutant chacun de ses gestes. Et nous voyons en plus des reportages montrant des rues où l’on voit les passant défiler avec un carré entourant leurs visages pour que l’on comprenne qu’il s’agit d’une reconnaissance faciale, et leurs noms et quelques informations à côté pour montrer que l’on sait tout d’eux. Je ne dis pas que ce n’est pas une réalité, il est possible que ça le soit. Cependant, il exite aussi la possibilité qu’il s’agisse réellement d’un principe de panoptique psychologique, c’est-à-dire un fonctionnement dans lequel l’individu croit qu’il est sous surveilance constante sans pouvoir voir ses gardiens.

Tout l’intérêt de cette idée est qu’elle ne vient pas affirmer que nous sommes réellement dans une société panoptique, mais que l’on croit que nous le sommes. Cela revient à dire qu’une personne qui se sent sous surveillance va nécessairement adapter son comportement en fonction de ce qu’elle croit qui pourrait faire qu’elle attire l’attention de l’oeil inquisiteur. Il faudrait alors se demander ce que l’oeil cherche à observer dans cette panoptique. Une certitude est qu’il n’y a probablement que très peu d’yeux humains derrière les écrans des caméras qui nous observent, et personne n’écoute physiquement nos conversations, et pourtant c’est l’idée que beaucoup s’en font.

Dans le cas d’algorythmes qui nous surveilleraient, ou même d’une intelligence artificielle, qu’est-ce qui fait que nous pourrions devenir intéressant au-delà d’un aspect marketing et de protection ? La seule chose qui ressort est la peur d’un contrôle total de l’individu, qu’il soit catégorisé en fonction de son rôle social, de sa capacité à contribuer efficacement ou pas… mais alors la problématique se déplace vers une idée plus subjective, liée aux attentes des gouvernements et leur volonté d’évolution. Qu’est-ce que la société veut de l’individu ?

Notre problème est que nous sommes envahis par un ensemble de biais cognitifs qui nous poussent à considérer les pires scénarios, et nous n’en manquons pas, le cinéma depuis Metropolis en 1927 n’a jamais tari d’idées pour nous apprendre à avoir peur du léviathan social. Le plus amusant est lorsque l’on voit quelqu’un qui essaye de se cacher en couvrant la caméra des appareils qu’elle achète dans son salon par peur d’être observée… si nous sommes vraiment activement observés, le fait de se cacher est toujours le meilleur moyen pour attirer l’attention. Mais soyons honnête, je doute très fortement qu’un humain soit intéressé à l’idée de voir ce qui se passe dans notre salon.

Il y a donc une différence fondamentale entre la réalité et ce que l’on croit que la réalité est. Une chose est certaine, la croyance de ce qu’est la réalité est beaucoup plus efficace et demande infiniment moins de ressources pour fonctionner. Dans mon roman « Conversation avec un cynique« , j’aborde cette notion du léviathan social qui viendrait essayer d’enchainer l’individu et de lui supprimer toutes ses libertés peu à peu. La peur est réelle, aucun doute à ce sujet, de même que le biais cognitif qui nous pousse par exemple à imaginer un conseil mondial de quelques individus qui dirigent nos vies pour servir leurs intérêts. Mais je proposais une vue très différente à ce sujet, quelque chose qui nous éloigne justement de ce fatalisme qui nous envahit trop facilement parfois. Beaucoup de personnes diraient qu’elles n’ont pas peur de cette idée d’une société panoptique, et pourtant, tant sont en colère contre différents aspects, tant descendent dans les rues pour s’opposer, tant se lamentent qu’il devient impossible de faire quoi que ce soit sans qu’une administration les rattrape.

La clef de la liberté est toujours liée à nos peurs qui nous enchainent à notre vision du monde.

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