Le passage du corps à l’esprit dans la philosophie de l’intelligence agente

Beaucoup de personnes vivent avec le sentiment qu’il manque quelque chose dans leur vie, un lien, une connexion à quelque chose. Elles entreprennent alors une quête de reconnexion, que cela soit à elles-mêmes, à l’Univers, ou tout autre chose, mais sans jamais réaliser qu’il est impossible qu’elles ne soient pas connectées à l’Univers, ou à elles-mêmes. Par définition, nous faisons partie de cet univers, il existe en nous comme nous existons en lui, comme le disant Carl Sagan, « Nous sommes un moyen pour le cosmos de se connaître lui-même. Nous sommes un moyen pour l’univers de se connaître lui-même. Une partie de notre être sait que c’est de là que nous venons. Nous avons envie d’y retourner. Et nous le pouvons, parce que le cosmos est aussi en nous. Nous sommes faits d’étoiles. » L’intelligence agente est cet œil sur notre être profond.

intelligence agente

Mais cela ne veut pas dire pour autant que ces personnes se trompent, que leur impression qu’un lien manque n’est pas réelle. Car cette impression est bien réelle et ressentie profondément, allant même jusqu’à avoir des impacts et des conséquences qui se répercutent dans la vie quotidienne de certaines personnes : les choses et les événements ne semblent plus avoir de sens ou de sens adéquat, sentiment de perte de direction ou de motivation,… Toutes ces impressions sont des symptômes, des conséquences d’une représentation du monde que l’on a et qui a été amputée d’une partie essentielle de sa structure. Lorsque je parle d’amputation, je ne veux pas dire que cette partie a disparue et qu’elle n’existe plus, mais seulement qu’elle ne fait plus partie de notre réalité, dans le sens où l’on n’a plus conscience qu’elle existe.

Certains de mes livres, et notamment « Visions chamaniques » tournent beaucoup autour de cette notion que l’on appelle aujourd’hui l’Imaginal, et cette impression que l’imaginal manque qui cause cette sensation de déconnexion, de perte de lien, de sens ou de direction. De ce point de vue, on pourrait dire que cette problématique est assez typiquement occidentale et d’ordre philosophique. Dans notre philosophie occidentale, nous avons une conception principalement dualiste et même matérialiste parfois, exacerbant une rationalisation systématique aux dépens d’une herméneutique jusqu’alors capable d’appréhender les réalités spirituelles et mystiques. Aujourd’hui, les modes de pensée occidentaux se basent principalement sur un paradigme scientifique dualiste où l’on appréhende l’esprit par la méthode scientifique et systématique. Dans cette vision, l’esprit est un sous-produit de processus physiologiques soumis aux limites physiques du temps et de l’espace, et où les esprits individuels ne peuvent pas interagir sans support physique.

Le jardin des délices, l’imaginal selon Bosch ?

Dans cette conception dualiste, il manque un « pont » qui permette de faire le lien entre le corps et l’esprit, une articulation entre les domaines sensible et intelligible. Or, ce pont, cette articulation, a existé dans la philosophie occidentale dans le passé, et on la retrouve encore dans beaucoup de philosophies orientales et animistes aujourd’hui. Ce principe se rattache à la doctrine de l’intelligence agente, ce qu’Henri Corbin a rebaptisé sous le nom d’imaginal. L’imaginal est un domaine de connaissance à part entière qui se situe entre le domaine sensible et le domaine intelligible. C’est le domaine où se trouve justement ce lieu de passage, de transformation et de réalisation de soi, c’est ce qui permet la réalisation d’une fonction théophanique pouvant donner accès aux révélations que l’on cherche à atteindre dans cette quête de soi et de son essence.

Henri Corbin a ravivé cette notion d’imaginal en occident en la faisant renaître à partir des écrits d’Ibn Arabi, un philosophe perse du xiie siècle. La mystique perse présente trois mondes distincts ou domaines de connaissance :

  • Le monde SENSIBLE celui des choses matérielles et des formes sensibles,
  • Le monde IMAGINAL qui est le monde de l’âme et des formes imaginales,
  • Le monde INTELLIGIBLE où se trouvent la connaissance et les formes intelligibles.

La distinction qui est faite entre ces trois mondes repose sur la reconnaissance des formes qui sont propres à chacun, hiérarchisées en fonction de l’être et du connaître : il y a les formes intelligibles, les formes imaginales, et les formes sensibles. Les formes imaginales se définissent entre l’apparence des formes sensibles et le transparaître des formes intelligibles. C’est un monde médian et médiateur, là où le contact entre Dieu et l’homme se fait, un monde entre Ciel et Terre, où s’immatérialise les formes sensibles, et où s’imaginalisent les formes intelligibles.

Les 3 domaines de connaissance :

DOMAINESensibleImaginalIntelligible
FormesPerceptions sensorielles
Monde non-cohéré
Figures-archétypes,
Idées-images, corps subtils, immatériel
Concepts, abstraction, raisonnement
Organes de perceptionCapteurs sensoriels (oreilles, yeux…)Imagination agenteIntellect, mental
Cohérence du réelMonde accidentel,
Sans cohérence
Permet d’atteindre une cohérenceSéparé de la matière
HommePhysique
Corporel
Psychique
Spirituel
Intellectif
Intellectuel
intelligence agente
Pénétrer dans l’imaginal par Yoaz

Lorsque nous avons progressivement glissé vers une philosophie dualiste jusqu’au XVIIème siècle, nous avon laissé s’effacer le lien existant entre le corps et l’esprit, nous faisant perdre ainsi accès à un mode de connaissance et une voie cognitive essentiels. Le domaine imaginal n’a pas disparu, encore une fois c’est impossible, mais nous avons perdu la conscience de cette existence et ne l’intégrons plus dans nos modes de pensées et dans notre conceptualisation du monde qui nous entoure. Les conséquences sont diverses et pas toujours très bonnes. Il y a eu certes beaucoup d’avantages à nous tourner vers une philosophie dualiste ou même matérialiste, mais en perdant ce lien qui permettait d’unir le corps et l’esprit, nous avons causé une scission qui ne nous permet plus de faire le lien avec ces aspects de l’esprit qui ne relèvent pas d’un processus physiologique. Pour faire simple, dès lors que la science n’arrive plus à expliquer quelque chose, celle-ci aura tendance à être rejetée ou cataloguée comme étant une erreur statistique, une incongruité, une supercherie… Cette problématique philosophique n’a de répercussions que sur l’inconscient collectif (oui, rien que ça) en cela que cela entraîne une négation de la réalité de l’imagination agente comme mode de perception et fonction cognitive, pour n’accorder de foi qu’à la perception sensible (tout aussi subjective pourtant).

Beaucoup de peuples vivent encore aujourd’hui avec une parfaite connaissance de l’imaginal et une conscience solide de leur propre imagination agente. Ce sont des réalités qui sont acceptées et intégrées dans le quotidien. Certes, ces personnes en font l’apprentissage naturellement, dès la naissance d’une certaine manière. De l’extérieur on aurait l’impression qu’ils croient aux esprits de la nature, mais dans leur réalité, ils perçoivent ces esprits, ils les sentent comme nous sentirions un changement de température. Cet apprentissage peut se faire, même pour un occidental dualiste indécrottable, mais ce n’est pas une mince affaire, d’autant que l’on risque facilement de tomber dans la polarité de notre matérialisme en plongeant tête baissée dans une réalité qui se voudrait « tout esprit », et nous entrainerait vers des excès de spiritualité tout aussi dommageables. (J’explique largement cette notion d’excès de spiritualité dans le livre des « 27 clefs pour révéler votre potentiel »).

intelligence agente dans l'expérience chamanique

Notions et textes extraits des ouvrages :

apologie de la mort
visions chamaniques, l'imaginal et intelligence agente

Ces travaux sont issus de mes propres recherches sur le chamanisme et l’Ayahuasca durant mes années d’activité en tant que chamane ayahuascquero en Equateur.

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