A passer de longs mois isolé dans la jungle, sur le flanc d’une montagne que l’on a parfois du mal à différencier des autres alentours, il est parfois des moments difficiles, c’est un peu comme se sentir seul au milieu d’une foule, cela n’a pas vraiment de sens, mais la sensation est bien réelle. Etre l’unique Blanc, au milieu d’une immense vallée peuplée de Huli explique facilement cette sensation. Déjà la barrière de la langue ; après plusieurs mois, et même si je maitrisais très bien le Tok Pisin (le Pidgin parlé sur l’ensemble du territoire), mes capacités de conversation en Huli étaient très limitées. Je pouvais m’exprimer lentement et dire ce que j’avais à dire, mais je ne pouvais réellement comprendre que les femmes et les enfants, les hommes parlant volontairement très vite et de manière complexe (ce qui se dit en Huli est toujours très important, alors il convient d’en dire le plus possible, le plus rapidement possible).
Cette solitude pesant parfois sur le moral, il est essentiel de se raccrocher à de petits plaisirs. Bien évidemment, ces petits plaisirs n’ont rien à voir avec ceux que l’on peut cultiver dans nos contrées et il faut donc s’en découvrir de nouveaux. Il serait exagéré de dire que l’heure des repas fait constitue légitimement un plaisir, mais certains éléments en font définitivement parti. Le régime alimentaire dans ces montagnes est constitué en grande majorité de patate douce ou Kaukau (si je devais donner une estimation, je dirais que cela représente 80% de ce qu’ils mangent au quotidien, mais ce n’est peut-être pas totalement objectif après avoir ingéré des dizaines de kilos de ce tubercule). Au petit déjeuner on les sort des braises du foyer, au déjeuner on en a toujours quelques unes gardées dans un filet, et au diner… pareil. Heureusement que d’autres aliments accompagnent tout cela : parfois j’avais la surprise d’un grand légume apparenté à une courge (là encore, les petites boites d’épices que j’avais glissé dans mon sac à dos furent d’une grande aide), mais cela voulait dire que tous les soirs suivant il faudrait manger les feuilles de cette même courge et là, les épices deviennent vitales.
Après mon premier terrain, il m’était presque impossible d’avaler des patates douces en aussi grandes quantités, alors je me rabattais sur d’autres aliments plus en accords avec ce que je considérais comme agréable. Donc un demi-ananas constituait mon petit déjeuner, et le soir je mélangeais les légumes qu’il y avait avec un peu de riz (aussi très important dans l’alimentation Huli aujourd’hui) et une petite boite de thon ou de maquereaux (pas grande la boite !). Bref, en Papouasie, on perd du poids rapidement !
Il existe des manières de varier cet ordinaire, comme le faisait un très bon ami anthropologue italien qui prenait le temps de faire de gnocchis avec les patates douces, mais cela reste très limité. Alors tout ce qui sort de cet ordinaire devient un réel plaisir : un petit poulet grillé, quelques fruits que l’on trouve difficilement… et le Maranta. Le maranta, dont j’ai oublié le nom Latin, est un grand fruit constitué presque entièrement de longues graines couvertes d’une substance rouge. Les graines sont grattées dans une grande casserole, on y ajoute de l’eau et on fait cuire le tout. Le résultat est un énorme tas de graines qui baignent dans une sauce rouge vif. Les convives plongent une cuillère dans la casserole et sucent cette délicieuse sauce avant de recracher bruyamment les pépins. Et cette sauce ! Quelle merveille ! De puissants arômes chocolatés, très légèrement poivrés… plus qu’un petit plaisir, c’était devenu un met de choix, de ceux que l’on réserve pour les grandes occasions.
Donc naturellement, lorsque Ulysse et Claire sont arrivés à Kulu, je ne pouvais décemment pas les recevoir après toutes ces années sans un menu approprié, cela n’aurait pas été correcte pour les héros de mon roman.
Mon roman policier « La tourmente du Serpent » est disponible dans toutes les bonnes librairies. Retrouvez des aventures au coeur de la Papouasie Nouvelle Guinée dans ce polar.